Bill Gates est à la fois un influenceur hors pair (31,5 millions d’abonnés sur LinkedIn) et un homme qui a les moyens de ce qu’il dit (il se vante aimablement des deux milliards de dollars qu’il a déjà mis sur la table pour la cause climatique, et des deux autres qui viennent prochainement. Ces grands tycoons sont décidément les bienfaiteurs de l’humanité.)

 

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Pour ces simples raisons, il faut lire son dernier livre sur le climat : How to Avoid a Climate Disaster. Je ne l’ai pas encore fait, mais il en donne un résumé ici sur LinkedIn et surtout une excellente interview à la spécialiste tech du New York Times, Kara Swisher, qu’on peut lire ou écouter .

J’en retiens déjà deux ou trois choses.

  • Une remarque intéressante sur l’industrie de l’énergie. On est tous étourdis du rythme des innovations et des effets d’échelle dans quantité d’industries : l’informatique, les plateformes et même la santé, depuis qu’on met au point des vaccins complexes en un peu plus de six mois. Pour l’énergie, rien de cela : il n’y a pas d’innovation transformante, un kwh est toujours un kwh et les lois de la physique sont assez têtues. « Avec l’énergie, vous venez avec un produit qui n’est pas meilleur qu’avant. Le seul truc nouveau est qu’il n’émet pas de CO2. »

 

  • Une appréciation juste sur Elon Musk, autre tycoon. C’est vrai que voici la personne qui fait avancer d’au moins cinq à dix ans notre approche sur la voiture électrique. Souvenons-nous, il n’y a pas si longtemps, les constructeurs classiques admettaient que c’était la fin du moteur diesel. Aujourd’hui, c’est du moteur thermique qu’ils admettent la fin. Gates dit : « Eh bien, il faut dire que ce qu’Elon a fait avec Tesla est l’une des plus grandes contributions au changement climatique que personne n’ait jamais faite. Et vous savez, sous-estimer Elon n’est pas une bonne idée. » Reste à savoir le bilan carbone de la voiture électrique en l’état : est-il si stupéfiant ? Mais c’est déjà ça. Aujourd’hui, le transport par auto, bus et camion consomme 6,6 gigatonnes sur les 50 gigatonnes d’émission de CO2 et assimilés d’origine humaine, soit 13,2 %. Réduire par exemple de 10 % la consommation vaut donc 1,3 Gt de carbone. (Sur tous les chiffres de consommation de carbone, le lecteur peut se reporter à cet extraordinaire graphique de l’excellent blog scientifique Science étonnante.) On attend plutôt la pile à combustible sur laquelle Toyota fait des premiers essais. Mais le fait est que Musk a bousculé cette industrie comme personne depuis Henry Ford. Que Tesla vaille plus de 800 Md$ en bourse, soit près de deux fois la somme des capitalisations de tous les autres constructeurs auto réunis est un autre sujet. Si l’affaire GameStop n’avait pas rincé certains vendeurs courts (short sellers ! il faut oser la traduction directe), on recommanderait des ventes en bourse de Tesla adossées à des achats de tous les autres constructeurs.

 

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Et maintenant la thèse centrale du livre de Bill Gates. Il faut juste le « zéro zéro », c’est-à-dire purement et simplement des émissions nulles de carbone d’origine humaine, ceci à l’horizon 2050. C’est la seule façon que le stock de carbone dans l’atmosphère n’augmente plus – et on sait que c’est le stock et non le flux qui commande le climat. C’est assez facile pour le transport, beaucoup plus difficile pour l’acier, l’alimentation, le ciment, etc., parce qu’il faut ici des sources d’énergie fiables et régulières qui produisent absolument zéro émission.

D’où son message : ce n’est que demi-mesure de vouloir simplement « réduire » nos consommations quotidiennes, en mangeant moins, en s’habillant moins, en voyageant moins, en plantant des arbres. Parce que cela ne permet pas que le stock de carbone se stabilise. Il faut ZÉRO, rien de plus. Or, on ne peut atteindre ce zéro que par des innovations majeures, des techniques de rupture. Ce doit être l’arme principale dans la guerre climatique. Et en voilà pour les apôtres de la décroissance.

 

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Ici, une question. Faut-il le « zéro » ou le « zéro net » dans cette bataille ? Ce n’est pas clair dans son discours. On produit aujourd’hui 50 Gt de CO2 par an, mais les systèmes naturels en détruisent ou absorbent 20 Gt par an. Si donc on réduit notre production de 30 Gt d’ici 2050 (-60 %, excusez du peu !, cela fait une baisse de 3 % l’an), le stock de carbone n’augmentera plus. D’accord donc pour des innovations de rupture, d’accord surtout pour beaucoup plus de budget public de R&D verte – et tant mieux si quelques tycoons s’y associent – mais ne pas oublier la bonne et simple réduction de la consommation dès aujourd’hui à technologie identique. J’interprète mal Bill Gates ?