Parmi les dernières publications économiques en langue française, de plus en plus d’ouvrages explorent les frontières entre la « croissance verte » et la « décroissance socialement responsable ». Leurs auteurs s’efforcent de démontrer que les transitions énergétique et écologique imposent aux sociétés occidentales – et bientôt asiatiques – de modifier leurs modes de gouvernance, leurs systèmes de production et leurs comportements de consommation, afin de limiter le réchauffement climatique.

Patrick Artus et Oliver Pastré montrent comment nous sommes passés « de l’économie d’abondance à l’économie de rareté ». Bernard Christophe sonde la capacité des trois pôles de la transition écologique (la fin de l’obsolescence programmée, l’économie circulaire et l’économie collaborative) à plutôt favoriser la croissance ou la décroissance. François Grosse propose un modèle de « croissance soutenable » basé sur le recyclage des matériaux et des produits. Jean-Hervé Lorenzi propose de « repenser l’environnement économique et social avec notre culture et les instruments d’analyse « modernes ». Stephane Trebucq et Rémi Demersseman, dans leur « grand livre sur la RSE », analysent les théories et les pratiques de la « croissance verte ».

Jean-Jacques Pluchart

 

Christophe Bernard, Croissance verte et décroissance. Posons-nous les bonnes questions, Ed. Academia, 206 pages.

 

Le professeur Bernard Christophe a écrit de nombreux ouvrages et articles sur le thème controversé de la décroissance économique. Dans son dernier livre, il restitue sa longue expérience en répondant à 17 questions clés. Il observe en préambule que la croissance économique ne peut être soutenue par la seule « économie verte » actuelle qui est consommatrice d’énergie plus carbonée que décarbonée. Il constate qu’au cours des 30 dernières années, la croissance mondiale – même partiellement « verte » – s’est infléchie tout en continuant à creuser les inégalités sociales. Sa poursuite risque notamment d’amplifier la fracture entre les pays riches et les pays pauvres. Il en déduit qu’il est nécessaire de pratiquer une forme originale de décroissance. Il sonde alors la capacité des trois pôles de la transition écologique (la fin de l’obsolescence programmée, l’économie circulaire et l’économie collaborative) à plutôt favoriser la croissance ou la décroissance. Il teste la compatibilité entre la décroissance économique et les dynamiques démographique, climatique, comportementale… Il questionne la capacité de certains modèles de gestion de crise (sanitaire, financière, sociale…) à réguler la décroissance. Il s’interroge sur les risques que les défis écologiques peuvent faire courir à la démocratie, à l’évolution des prix, à l’emploi, aux équilibres économiques et sociaux.

Bernard Christophe analyse les politiques monétaires les plus adaptées aux défis écologiques. Il rappelle les engagements en faveur de la protection de l’environnement pris par dans le cadre des accords internationaux (Montréal, Kyoto, Paris…), puis il propose des aménagements à apporter au système capitaliste pour rendre tolérable la décroissance. Il formule notamment des propositions concrètes sur les rôles respectifs de l’État-arbitre et de l’État-stratège dans l’administration du bien commun et l’accompagnement des entreprises socialement responsables. Il apporte ainsi une contribution significative au débat « impossible » sur la faisabilité de la décroissance économique.

Jean-Jacques Pluchart

 

 

Artus Patrick, Pastré Olivier, De l’économie d’abondance à l’économie de rareté, Ed. Odile Jacob, 192 pages.

Cet ouvrage est remarquable par sa pertinence et ses qualités pédagogiques. Il rappelle de notions simples, telles que les principes de formation des prix comme résultants de l’équilibre entre l’offre et la demande, ou encore par le rappel des trois grands leviers de croissance, que sont le capital, le travail et la capacité d’innovation. Le premier levier « le capital » est relativement abondant en France, avec l’épargne des ménages. Il l’est moins pour ce qui concerne les fonds propres des PME et ETI, souvent sous capitalisées, tandis que l’épargne disponible reste souvent sous-employée. Pour ce qui concerne le 2e levier, le travail, l’offre, en France est faible, relativement aux autres pays de l’OCDE, en raison de la faiblesse des heures travaillées, de l’âge effectif des départs en retraite et de la difficulté de recruter du personnel peu qualifié et peu rémunéré, comme par exemple dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration. L’on peut donc parler de « rareté de la ressource travail comme d’un facteur limitatif de la croissance économique et donc du niveau de vie de la population ». Le 3e levier de la croissance est la capacité d’innovation encore appelée «progrès technique ». Elle est essentiellement liée au niveau de formation des populations. Et, là encore, la France est en retard si l’on se réfère aux classements internationaux. À ce tableau gris, il faut rajouter la hausse du coût des matières premières et de l’énergie comme autre facteur de rareté. L’ouvrage n’est pas pour autant pessimiste si des corrections cohérentes sont apportées à la gestion des ressources qui devrait s’orienter plus vers leur allocation à des leviers stratégiques comme la capacité d’innovation, c’est-à-dire au développement des compétences, à l’accroissement de la ressource « travail », et moins au comblement par des « sparadraps » censés combler les inégalités engendrées par la rareté des ressources elles-mêmes.

Denis Molho

 

Grosse François, Croissance soutenable ?, Ed. PUG, 214 pages.

Parmi les nombreux ouvrages et articles sur la croissance soutenable, la réflexion de François Grosse mérite une attention particulière, car elle montre qu’une nouvelle approche de l’économie circulaire pourrait être une des solutions au problème de l’épuisement des ressources naturelles. Il analyse les processus de recyclage des principaux métaux et il constate que les politiques européenne et française actuelles ne peuvent contribuer à une croissance soutenable, car elles ne respectent pas un modèle de « croissance semi-circulaire » basé sur trois principes : la croissance de la consommation de matières premières non renouvelables doit être inférieure à 1% par an ; l’économie doit rejeter au moins 80% des quantités qu’elle consomme ; le taux d’efficacité du recyclage des déchets primaires (chutes de production ) et ultimes, doit être supérieur à 80% . L’auteur cite l’exemple du cycle du fer dont la croissance annuelle de la consommation mondiale est en moyenne de 3 %, l’efficacité du recyclage est de 72 % et le temps d’utilisation est de 32 ans. Ces paramètres contribuent à prolonger de seulement 10 ans l’exploitation des réserves de fer (dont la durée actuelle de vie est de 160 ans). Le respect des trois principes édictés par l’auteur permettrait de prolonger de 80 années l’exploitation des ressources mondiales en métaux ferreux.

L’auteur recommande également l’exploitation de chaufferies urbaines faisant appel à la biomasse, de préférence à celle des incinérateurs classiques, et il décrit le projet d’incinérateur-pilote de Monaco, dont il est un des consultants. Il préconise donc de passer du mode actuel linéaire « extraire, produire, consommer, jeter » à un modèle circulaire intégrant tout le cycle de vie de la matière première. Il conclut en assurant que la décarbonation de la planète sera favorisée par un ralentissement de la consommation de ressources non renouvelables et un meilleur recyclage des déchets, qui contribueront à réduire la consommation d’énergie d’origine notamment fossile. Son modèle constitue une avancée significative dans le débat actuel sur la décroissance économique.

 

Lorenzi Jean-Hervé, Ed. Les rencontres économiques d’Aix, 122 pages.

Pour la première fois, des crises d’une diversité sans précédent — économiques, sociales, sanitaires, géostratégiques — convergent en un temps très limité. Le monde fait face à des contraintes endogènes (changement climatiques, migrations non souhaitées, ressources insuffisantes…), dont nous sommes responsables et sur lesquelles nous sommes dans l’obligation d’agir, et exogènes (vieillissement de la population mondiale, impact du financement de l’innovation et des investissements de lutte contre les changements climatiques, la pandémie et ses conséquences, aspirations des jeunes sur le marché du travail…). Enfin, ce n’est pas la moindre contrainte, le paradigme de la mondialisation et du « village global », a vocation à être profondément remis en cause.

Cet énoncé de contraintes génère des incertitudes dans tous les corps de la société. Le sujet n’est pas de les supprimer mais de les dissiper autant que possible et d’apprendre à vivre avec elles. Certes, il s’agit d’une approche quasi philosophique — voire « eschatologique » — dont les anciens étaient conscients « ce que je sais, c’est que je ne sais pas » aurait dit Socrate ! Mais il est indispensable de repenser cet environnement avec notre culture et les instruments d’analyse « modernes ».

Tel est l’un des objectifs de cet ouvrage, qui reprend des éléments d’un colloque multi disciplinaire dont les intervenants étaient spécialistes de la science physique, de l’économie, du marketing, des sondages, de la psychiatrie/psychanalyse, du capital investissement, de la santé, de la défense. Ce travail collectif servira de base aux Rencontre économiques d’Aix de juillet 2023, dont les thèmes sont les suivants. Le futur existe-t-il déjà dans l’avenir ? Dissiper les incertitudes dans la lutte contre le changement climatique ; une stratégie de défense adaptée au XXIème siècle ; dette taux et stagnation, un cocktail explosif ? Fractures françaises : des failles au tremblement de terre ? Surmonter la crise du système de santé ; des modifications majeures du côté de la consommation ; faire avec l’incertitude : un défi pour demain.

Chaque chapitre se termine par des « remèdes et recommandations » dont le dernier, forme de synthèse du débat et de l’ouvrage qui «énonce » des idées sociétales à développer et à mettre en œuvre.

« N’oublions pas que 85% des emplois offerts en 2030 n’existent pas encore. Aussi, la souplesse et les capacités d’adaptation deviennent les capacités principales. Et l’incertitude est un puissant moteur de créativité et de curiosité si le goût en a été donné tôt dans la vie. L’éducation et la pédagogie devraient désormais mettre au rang de priorité le jeu et la surprise. Le plaisir de la recherche découle des questionnements précoces soulevés par le tout petit. Préparer les esprits à faire de plus en plus face à l’incertitude afin de pouvoir en saisir les opportunités et à y trouver des sources de plaisir, tel est le défi auquel sont confrontés les parents et les enseignants et plus largement les responsables économiques et politique ».

Dominique Chesneau

 

Trébucq Stéphane, Demersseman Rémi, Le grand livre de la RSE, Ed. Dunod, 405 pages.

L’ouvrage collectif intitulé « Le grand livre de la RSE » mérite l’attention des universitaires et des managers, mais aussi du grand public, car il se présente sous la forme d’une grande encyclopédie vivante couvrant la plupart des problématiques théoriques et pratiques soulevées par la mise en oeuvre de la Responsabilité Sociale des Entreprises et du développement durable.

Coordonné par Stéphane Trebucq, professeur à l’IAE de Bordeaux, et Rémi Demersseman, fondateur d’Oïkosystème et directeur de l’Institut Supérieur du Journalisme de Toulouse, l’ouvrage est organisé en quatre parties et 26 chapitres, rédigés par des experts reconnus dans ces domaines.

La 1ere partie compare les divers concepts de la RSE et ses différentes approches d’ordre politique, technologique, économique, managérial, sociologique, philosophique etc. Elle soulève notamment la difficile question de ses leviers normatifs et empiriques. La 2e partie montre la diversité des théories et des pratiques appliquées dans les diverses fonctions de l’entreprise (stratégie, finance, marketing, achats, GRH, communication…), dans ses différents secteurs d’activité (industrie, banque-assurance, services) et sous ses multiples formes (groupe, PME, mutuelles, associations…). La 3e partie présente des études de cas d’usage illustrant la diversité et la complexité des problématiques soulevées par la mise en œuvre de stratégies socialement responsables. La 4e partie cerne les limites des référentiels et des pratiques en usage et explore les voies de progrès.

Les réflexions des auteurs sont solidement argumentées et documentées. L’ouvrage convainc le lecteur que les politiques publiques et le management des organisations traversent actuellement une période historique de transition entre le néo-libéralisme financier et l’économie socialement responsable.

Jean-Jacques Pluchart