Les nanofluides, au cœur de la leçon inaugurale de Lydéric Bocquet sur la mécanique moléculaire des fluides, illustrent brillamment deux concepts clés : d’une part, les avancées récentes dans la mécanique des fluides à l’échelle microscopique ouvrent des perspectives prometteuses pour les énergies alternatives et le dessalement de l’eau de mer ; d’autre part, l’association synergique entre startups et recherche fondamentale s’avère cruciale pour accélérer la mise sur le marché des innovations. Dans un contexte où l’urgence climatique exige rapidité et efficacité, le soutien du capital-risque joue un rôle essentiel en finançant les applications pratiques de la recherche et en encourageant la collaboration entre scientifiques et ingénieurs.

Nanofluides ? Je résume en quelques mots. On expérimente chacun de nous que les fluides passant dans un tuyau occasionnent des frottements : des voitures sur un pont, une eau à trop forte pression dans un robinet, etc. Et, en général, plus le tuyau est étroit, plus les frottements et la déperdition d’énergie sont importants. Un mystère, mis en évidence depuis une vingtaine d’années et qu’on commence seulement à comprendre aujourd’hui, est que cette loi est mise en défaut à des dimensions moléculaires : plus le canal est étroit, plus les molécules passent vite ! La nature en offre un exemple fascinant avec nos reins : la filtration se fait à une vitesse stupéfiante. Qu’on y songe : ces petites machines filtrent jusqu’à 200 litres par jour, séparant environ un litre d’urine et remettant en circuit 1,5 kg de sel. Et tout ceci en consommant une énergie absolument dérisoire. Une pompe filtrante d’une puissance étonnante. Bocquet explique assez clairement, à usage du béotien, ce qui se passe, qui implique des mises en résonance quantiques entre, pour faire simple, les parois du tuyau et les molécules.

Les molécules d’urée passent, l’eau reste dans le circuit, ce qui illustre la célèbre leçon de logique des passoires par les maîtres Shadocks, où la passoire laisse passer les nouilles et retient l’eau.

D’où des innovations qui se profilent, en premier lieu pour inventer des méthodes de dessalement de l’eau de mer. Aujourd’hui, selon la technologie la plus courante, elles sont follement consommatrices d’énergie : il faut pousser, avec un coût énergétique très grand, des masses d’eau salée au travers de filtres qui retiennent les molécules de sel. Il n’est pas aujourd’hui exclu que des membranes composées des fameux filtres accélérateurs mentionnés plus haut, à l’égal de ceux qu’utilisent nos reins, puissent faire le travail à un coût énergétique bien moindre.

Une autre utilisation est l’énergie osmotique. Pour retirer le sel de l’eau de mer, il faut consommer de l’énergie. Mais, si on mélange de l’eau douce à de l’eau de mer, le sel va se répandre sur toute la masse d’eau, produisant – puisque c’est exactement l’opération inverse – de l’énergie, dite osmotique, qu’on peut récupérer grâce au même type de membranes. Le gisement potentiel est considérable, on l’estime à 27 000 TWh par an sur la surface du globe. Les labos de Lydéric Bocquet ont déposé des brevets sur la question et travaillent fusionnellement avec différentes startups, la plus connue étant Sweetch Energy. Voir ici une présentation.

Je recommande de ne pas manquer les 8min de la fin du podcast pour partager l’enthousiasme de Lydéric Bocquet et son appel à la fécondation croisée de la recherche fondamentale et de la « mise à l’échelle » par l’ingénieur, aidée par le venture capital.

 

Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 12 juin 2023.