Jamais les créations de captives d’assurance n’ont été aussi nombreuses en France. Ces structures, réservées autrefois aux grands groupes, se rencontrent désormais chez certaines ETI. Il s’agit de compagnies d’assurances sans but commercial, détenues par l’entreprise et dont l’objet est d’assurer en interne une part des risques encourus par certaines filiales ou divisions du groupe. Comment expliquer le phénomène ?

 

Il y a des raisons occasionnelles à cet emballement : des primes d’assurance plus coûteuses, les grands assureurs ayant eu tendance à reporter le coût des sinistres liés à la santé (Covid) ou aux désordres climatiques sur d’autres branches d’assurance, et donc sur des clients qui n’en peuvent mais. Il y a aussi un cadre fiscal et administratif désormais plus favorable en France pour éviter leur implantation à l’étranger, ce qui stimule le recours aux captives. Mais la raison de fond est qu’on perçoit mieux aujourd’hui à quel point cet outil, bien utilisé, est commode pour gérer les risques de l’entreprise.

Pour comprendre cela, une interprétation financière de l’intrigante parabole des talents (Matthieu, 26) peut nous aider. L’histoire est connue. Le maître part en voyage et donne à gérer son patrimoine à trois serviteurs, leur confiant respectivement un, deux et cinq talents. Au retour du maître, les deux serviteurs les mieux lotis ont doublé le capital, tandis que le troisième, par prudence, a protégé son maigre talent et le rend à l’identique. Le maître le fustige durement, le vouant aux ténèbres, « là où sont les pleurs et les grincements de dents ». Voici un maître pas très gentil, mais surtout injuste parce que mauvais financier. Il devrait savoir que celui qui a un faible patrimoine a une capacité faible à prendre des risques et donc préfère les placements sûrs et garantis. L’aversion au risque dépend de la richesse. Le maître punit un homme sage, qui a été soucieux de ses intérêts.

Une entreprise de location de voitures illustre à rebours ce que doit être un bon maître. Si le loueur détient 100 000 voitures, il n’a que faire d’une assurance tous risques, il se contente d’assurer ses voitures au minimum légal. Le reste des sinistres, sur une telle population, est comme un coût fixe. La loi des grands nombres fait son habituel travail de rendre plus certaine la perte moyenne totale. S’il n’a que deux voitures, un problème à l’une peut l’obliger à fermer boutique : il s’assure tous risques.

 

Une grande entreprise, diversifiée dans ses activités et donc dans ses risques, se fabrique en quelque sorte un service d’autoassurance, d’autant plus qu’elle met dans le pot d’autres risques que ceux touchant les seules voitures, tels les incendies d’agences, le non-paiement des clients, etc. L’entreprise ne s’adressera au marché de l’assurance que sur les gros risques qu’elle peine à mutualiser en interne, sur des cumuls de risque trop élevés ou qui l’obligeraient à avoir des fonds propres coûteux à lever, illustrant ici que les fonds propres sont essentiellement une assurance, et même une assurance tous risques.

 

Mais, à s’autoassurer, on tombe souvent dans un autre travers, qui est d’oublier que l’assureur ne rend pas qu’un service de mutualisation. Il rend aussi, et parfois même surtout (par exemple en assurance crédit ou en grands risques industriels) un rôle de surveillance et donc de prévention, propre à faire baisser la perte moyenne. C’est le principe des « quatre yeux ». Où est la discipline de gestion si l’œil externe de l’assureur disparaît et qu’on renvoie tout à une mutualisation silencieuse ? C’est là qu’intervient la captive, qui est un outil de couverture pour les risques les plus facilement diversifiables et surtout un outil à la main du directeur financier ou des risques. Notre loueur auto imposera par exemple des assurances tous risques à chacune de ses agences, payées en interne, de telle façon que le responsable d’agence se sente, sur son compte de revenu, mieux investi de la surveillance de ses voitures, ceci en dialogue avec le responsable des risques.

 

Une captive d’assurance est ainsi un outil efficace pour les équipes financières puisqu’elle permet, de façon relativement peu intrusive, de diffuser une bonne discipline en matière de prévention, dans le cas bien sûr où une part consistante des risques est diversifiable en interne. Mais il y a des coûts, notamment administratifs, à la mise en place d’une captive. Il faut donc en faire bon usage. On voit trop souvent les entreprises oublier cette fonction de surveillance, et n’y mettre que du personnel simplement gestionnaire, souvent des courtiers, au lieu de personnes d’autorité capables de dialoguer fermement tant avec les différentes unités opérationnelles de l’entreprise qu’avec les assureurs externes.

 

Cet article a été publié sur Option Finance le 10 mai 2023.