Le cabinet Gartner, associé à l’université de Stanford, projette les cycles de développement (Hype cycles) des nouvelles technologies exploitables dans différents secteurs d’activité. Il a publié en 2022 les Hype cycles auxquels seront probablement confrontés les métiers du chiffre (experts-comptables et DAF des entreprises), au cours des cinq puis des dix prochaines années. Ces projections sont basées sur des enquêtes internationales dans les milieux professionnels et scientifiques.

Parmi les technologies applicables au cours des cinq prochaines années, Gartner distingue en priorité la gouvernance, la culture de la donnée(data literacy) et l’IA. Ces technologies recouvrent les modèles et les pratiques visant à mieux comprendre les opportunités et les risques associés à l’utilisation des données et des logiciels de l’IA. La maîtrise de la qualité des données (augmented data quality) permettra de mieux interpréter, coder et transmettre des données tracées, comportant des sources et des modes de construction transparents, afin de contribuer à une meilleure intelligence décisionnelle (ID). Le développement de l’IA explicable (xAI) permettra notamment de restituer les logiques sous-tendant des algorithmes considérés comme étant des boites noires. Cette « aide à l’explicabilité » permettra de reconstituer les raisonnements fondant la finance prédictive, et ainsi, d’accroître la transparence des modèles et la confiance de leurs utilisateurs.

La planification et l’analyse financières étendues (xP&A), basées sur des plateformes collaboratives, devraient également permettre à moyen terme de mieux intégrer les données et les applications afin de planifier les analyses et les opérations engagées par l’entreprise et ses parties prenantes dans leur écosystème. L’xP&A serait conjuguée à une architecture distribuée, permettant de piloter les investissements et les opérations grâce à des systèmes informatique, et de communication internes et externes à l’entreprise. L’xP&A ferait appel à des applications auto-intégratives (AIA), couvrant des  processus de traitement, d’extraction et de mapping de métadonnées qui nécessitent un minimum d’interaction humaine. Ces applications intelligentes seraient enrichies par l’IA apprenante et par des données connectées à diverses sources internes et externes. L’xP&A mobiliserait également des applications composables construites comme des assemblages flexibles de modules packagé, couvrant les pratiques des différents métiers de la finance. L’xP&A pourrait utiliser des langages Policy-as-code (PaC), exprimant les règles de gouvernance et de conformité de l’entreprise sous forme de codes. Avec ces PaC, les stratégies et les tactiques seraient traitées comme des logiciels pouvant être soumis à des tests fonctionnels. Selon Gartner, la plupart des fonctions financières pourraient à terme faire également l’objet d’une « hyperautomatisation » des processus manuels et semi-automatiques en un flux de travail continu.

L’application généralisée de certaines autres technologies pourrait complètement sécuriser les systèmes, à un horizon plus lointain compris entre cinq et dix ans. Une priorité résiderait alors dans la mise en place de plateformes de gouvernance des données et des logiciels, intégrant les systèmes destinés à assurer la sécurité, la qualité, l’accès, la conservation, la confidentialité et l’éthique des opérations et des contrôles comptables et financiers. Ces outils devraient contribuer à fiabiliser et à sécuriser les expériences respectives des scientifiques, des opérateurs et des utilisateurs des données à tous les niveaux de l’entreprise. Ils feraient largement appel à la blockchain qui est une technologie de registre distribué, cryptant les informations relatives aux transactions de toutes natures dans des jetons numériques appelés blocs. Dans le domaine financier, la blockchain contribuerait à fiabiliser les règlements, les transmissions de titres, de contrats, de pièces comptables etc. La détection des anomalies et des erreurs serait parallèlement développée grâce à des solutions propriétaires ou délocalisés,  notamment afin d’identifier et de corriger en temps réel les erreurs ou les fautes courantes, les biais algorithmiques et les violations des règles de conformité et des normes comptables. Cet objectif passerait également par un développement de l’analyse immersive des données, qui fournit une interface collaborative, à l’aide de techniques de réalité augmentée (RA), de réalité mixte (RM) et de réalité virtuelle (RV). Dans les environnements collaboratifs tels que les salles de marché ou de réunion, l’analyse immersive pourrait faire évoluer la culture d’affaires vers des prises de décision plus fiables, car celles-ci sont plus centrées sur des données tracées et des réactions plus rapides. L’intelligence artificielle générale (AGI) devrait aussi permettre de mieux comprendre, apprendre et/ou exécuter la plupart des tâches intellectuelles dévolues aux financiers. Elle devrait recouvrir l’intelligence artificielle causale (CIA), qui identifie et interprète les relations de cause à effet entre phénomènes, et ainsi palie les insuffisances des modèles prédictifs basés sur la seule corrélation entre des données. Des techniques plus avancées, pourraient être également développées, comme l’analyse graphique qui permet d’explorer les relations entre des entités disparates telles que des organisations, des personnes, des transaction etc. Elle utilise des nœuds et des sommets pour déterminer la connexité des données, et permet ainsi de détecter des relations entre des points de données hétérogènes. Gartner évoque également les jumeaux numériques qui recouvrent des représentations virtuelles d’entités réelles, comme des marchés, des processus ou des opérateurs. Ils s’appuient sur des capteurs ou sur des systèmes de surveillance qui fournissent des données rendant compte des comportements des opérateurs ou de l’état des objets, et ainsi, de tester certains changements simulés sur les jumeaux numériques. La recherche en finance utilise déjà les jumeaux numériques pour identifier les opportunités d’automatisation ou d’hyperautomatisation des processus, dans le cadre de nouveaux modèles d’affaires.

Les observations de Gartner montrent que dans les professions financières et comptables, les innovations seront de plus en plus intégratives et transformationnelles. Elles modifieront les organisations des back, middle et front offices, et affecteront à la fois les fonctions opérationnelles et stratégiques, d’exécution et de conception. Les métiers du chiffre de demain, conçues comme des « boucles d’apprentissage où chaque acteur – assisté par des systèmes automatisés et apprenants – participera à l’évolution continue des stratégies, des opérations et de la culture financières et comptable de l’entreprise ».