La Federal Trade Commission et 17 procureurs généraux des états fédérés ont lancé une plainte contre Amazon.com présumant, comme l’indique le communiqué de presse de la FTC, « que la société de technologie et de vente au détail en ligne est un acteur en position de monopole qui utilise un ensemble de stratégies anticoncurrentielles et déloyales interdépendantes pour maintenir illégalement son pouvoir de monopole. » La plainte déposée par la FTC est disponible ici. Une première réaction des gros bonnets d’Amazon est disponible ici. Je suis encore en train de digérer les arguments, mais vous propose ici quelques réactions à chaud sur ce qu’il faut surveiller au fil de l’avancement de l’affaire – et de sa couverture médiatique.

1) Le fait d’être en situation de monopole n’est pas illégal au regard de la législation antitrust. Si une entreprise parvient à un monopole en fournissant un ensemble de biens et de services très demandés, c’est légal et autorisé. Toutefois, une telle entreprise rencontre des limites étroites sur la manière dont elle pourra défendre son monopole et lutter contre les nouveaux entrants potentiels. J’ai lu un certain nombre de titres qui font référence à cette affaire comme étant un cas « anti-monopole ». Ce n’est pas tout à fait exact. Le reproche est plutôt des actions visant à empêcher la venue de concurrents potentiels. Comme l’indique le communiqué de presse de la FTC : « La plainte allègue qu’Amazon viole la loi non pas parce qu’elle est de grande taille, mais parce qu’elle adopte un comportement d’exclusion qui empêche les concurrents actuels de se développer et les nouveaux concurrents d’émerger ». Ou, comme le dit plus formellement la plainte juridique : « Cette affaire porte sur le comportement d’exclusion illégal qu’Amazon déploie pour bloquer la concurrence, freiner la croissance de ses rivaux et consolider sa position dominante ».

2) Ce cas antitrust n’a donc pas pour but de « couper Amazon en morceaux ». Il s’agit de savoir si Amazon doit mettre fin à certaines pratiques commerciales délictueuses.

3) Quelles sont, selon la FTC, les « pratiques d’exclusion » ? Pour autant que je sache, il s’agirait d’actions qui découragent les entreprises tierces qui vendent sur Amazon de vendre à un prix inférieur sur d’autres sites web et de pressions exercées par Amazon pour que les entreprises tierces utilisent son service d’expédition « Prime » et fassent de la publicité sur Amazon.

4) De nombreux détaillants offrent aujourd’hui des garanties d’alignement des prix, sous la forme « si vous trouvez le même article à un prix inférieur, nous nous alignerons sur ce prix ». Mais les économistes savent à présent que l’alignement des prix peut avoir des aspects anticoncurrentiels. Prenons le cas d’une compagnie aérienne en place qui assure la majeure partie du trafic entre deux villes. Une nouvelle compagnie aérienne se lance et propose un prix inférieur. La compagnie en place s’aligne à la baisse, de sorte que le nouveau venu ne peut pas attirer de clients. Et quand il a fait faillite, l’entreprise en place peut à nouveau augmenter ses prix.

À l’origine, Amazon vendait des produits de sa marque. À partir de 1999, elle a commencé à vendre également des produits venant de tiers. Selon la réponse d’Amazon, ces tiers sont aujourd’hui au nombre de 500 000 et représentent 60 % des ventes totales sur le site web d’Amazon. Ainsi, dans certains cas, il semble possible que les produits de marque Amazon soient en concurrence avec des produits de tiers. Si Amazon s’aligne continuellement sur les baisses de prix pratiquées par d’autres entreprises, ces dernières vont vite apprendre qu’elles n’ont rien à gagner en baissant leurs prix.

5) Étant donné qu’Amazon contrôle (il va de soi) la présentation du site web, elle a le pouvoir de positionner les vendeurs tiers plus haut ou plus bas dans les résultats de recherche. Elle les place plus haut si ces vendeurs optent pour faire de la publicité sur le site Amazon. Elle peut également proposer des liens vers son service d’expédition « Prime », de sorte que les clients peuvent trouver plus facile d’acheter via ce service plutôt que directement auprès de l’entreprise, sachant la difficulté plus grande à le faire. En d’autres termes, Amazon a le pouvoir d’imposer des frais à ses vendeurs tiers. La plainte de la FTC affirme ainsi : « Par exemple, Amazon a tellement monté les frais qu’elle facture aux vendeurs que, selon les informations reçues, elle prélève désormais près de la moitié de tout dollar perçu par le vendeur qui utilise le service d’exécution d’Amazon ». (Le mot « selon les informations reçues » pèse lourd dans cette phrase).

6) Au total, la FTC affirme que de nombreux petits détaillants sentent bien qu’ils doivent être présents sur Amazon car c’est là que se trouvent les clients. Mais nombre d’entre eux se sentent aussi maltraités par Amazon : on les dissuade de revoir leurs prix à la baisse et on les presse pour qu’ils paient des frais d’expédition et de publicité propres à Amazon. En conséquence, ces détaillants ne peuvent pas proposer des prix plus bas et peut-être une gamme de services plus large à leurs clients. Il semble juste de dire que la plainte ne porte pas directement sur les clients, mais sur la manière dont les vendeurs tiers sont injustement traités par Amazon.

7) D’une certaine manière, cette affaire porte sur les multiples types de frais qu’Amazon facture à ses vendeurs tiers et sur leur interaction. La plainte de la FTC indique : « Amazon facture aux vendeurs quatre frais principaux pour vendre sur sa place de marché. Un, Amazon demande aux vendeurs de payer des frais de vente, qui peuvent être des frais mensuels ou des frais pour chaque article vendu. Deux, Amazon facture à tous les vendeurs une commission ou « commission de recommandation » basée sur le prix de chaque article vendu sur Amazon. Trois, Amazon facture aux vendeurs l’utilisation de ses services d’exécution et de livraison. Quatre enfin, Amazon facture aux vendeurs des services de publicité. » Par conséquent, si une entreprise paie à Amazon les frais de vente et d’orientation de base, mais ne fait pas de publicité auprès d’Amazon, est-il « injuste » que celles qui font de la publicité soient présentées de manière plus visible ? [Vox-Fi : notons que c’est un jeu à somme nulle. Si toutes paient pour de la publicité, aucune n’en tire avantage, si ce n’est Amazon.]

8) Pour le moins, certaines de ces accusations me semblent confortées par les faits. […] Par exemple, je suis certain que les tiers qui vendent sur Amazon ont techniquement la possibilité d’utiliser des méthodes de livraison autres que Prime, et qu’elles ne sont pas techniquement obligées de faire de la publicité sur Amazon. Mais il serait intéressant de savoir combien d’entreprises exercent ces choix – et de voir si Amazon utilise son pouvoir de présentation du site web pour faire pression sur les vendeurs tiers.

9) Une question classique dans les cas antitrust est celle de la taille du marché. Par exemple, en 1987, il y a eu une fusion entre deux compagnies de bus interurbains, Greyhound et Trailways. Les autorités antitrust ont fait valoir que cette fusion donnerait à la société fusionnée un monopole sur le trafic des autobus interurbains. Les entreprises ont répliqué que le marché pertinent dans leur cas n’était pas le transport interurbain par autobus, mais toutes les méthodes de transport interurbain : voiture privée, voiture de location, autobus nolisé, limousine, taxi, train et avion. Dans ce contexte beaucoup plus large de l’ensemble des transports interurbains, la société Greyhound-Trailways issue de la fusion ne détenait qu’une petite part du marché.

Dans l’affaire Amazon, la FTC affirme à plusieurs reprises qu’Amazon est un monopoleur, notamment sur le « marché des supermarchés en ligne ». Il est sûr que Amazon va plaider en faveur d’une conception plus large du marché de la vente au détail dans son ensemble. Comme Amazon l’écrit dans sa réponse : « Aujourd’hui, les consommateurs achètent encore plus de 80 % de tous les produits de détail dans des magasins physiques. Et comme tout acheteur le sait, on peut acheter les mêmes produits auprès d’un grand nombre de détaillants différents qui se livrent une concurrence acharnée, y compris les magasins physiques, les magasins en ligne et les modèles hybrides qui se développent rapidement, comme l’achat en ligne et le retrait en magasin ». Je m’attends à ce qu’Amazon fasse valoir au FTC que même au sein du « marché des supermarchés en ligne », elle a des concurrents sérieux comme WalMart, et que sur le marché global de la vente au détail, Amazon ne représente qu’une part relativement faible.

10) Je ne serais pas du tout surpris si à la fin de tout cela, la plainte de la FTC poussait Amazon à annoncer qu’elle modifiait certaines de ses pratiques commerciales. Compte tenu des pressions internes exercées par Amazon (comme par toute autre entreprise) pour accroître les bénéfices, il est probable que certains concepteurs d’algorithmes aient fait des choses qui, examinées à la lumière du jour, peuvent être qualifiées de « comportement d’exclusion ». Ça ne me surprendrait pas non plus que ces ajustements adviennent lors d’un règlement avec la FTC dans lequel Amazon n’admettrait aucune culpabilité. Dans ses relations avec ses vendeurs tiers, Amazon a le pouvoir d’ajuster de multiples frais, de multiples services, ainsi que les résultats de recherche et la présentation du site web. À mon avis, même si la FTC fait pression sur Amazon pour qu’elle modifie certaines de ses pratiques, elle pourra s’orienter vers d’autres choix ayant des effets similaires.

Vous vous souvenez de la grande affaire antitrust contre Microsoft, réglée en 2001 ? En 2023, Microsoft est la deuxième plus grande entreprise du monde en termes de capitalisation boursière, un peu derrière Apple et un peu devant Saudi Arabian Oil. Après tout ce bruit et fureur, je ne m’attends pas non plus à ce que ce procès ait une grande incidence à venir sur Amazon.

 

Repris, avec la permission de l’auteur et une légère édition, du site Conversable Economist.