Sur le marché français, un oligopole des banques mutualistes se dessine de plus en plus. Les banques étrangères se sont enfuies et les deux seules banques françaises cotées sont contraintes à des restructurations de plus en plus douloureuses pour essayer de survivre. Les deux sources de revenus des banques : la marge nette d’intérêt et les commissions ne sont plus suffisantes pour des acteurs soumis à la logique économique. Les prêts immobiliers à taux fixes révisables à la baisse au gré de l’emprunteur d’une part, et une épargne réglementée coûteuse d’autre part sont les deux branches principales d’un effet de ciseaux mortel. Les commissions stagnent ou régressent sous l’effet de l’activisme consumériste. Les courtiers pour les prêts et le consumérisme pour les commissions sont les artisans, sans doute inconscients mais efficaces, de la constitution de cet oligopole mutualiste en France. Seules des « banques » dont la gouvernance interroge y compris la Banque centrale européenne, qui ne rémunèrent pas (ou si peu !) leur capital, dont la propriété des plantureuses réserves est opaque et qui enfin sont à l’abri du jugement des marchés peuvent prospérer dans un tel environnement.

Le 30 septembre 2022, le journal Le Monde titrait : « Stupéfaction à la Société Générale » : le conseil d’administration venait d’écarter la candidature d’un jeune inspecteur des finances, engagé politiquement, pour diriger la banque mettant ainsi fin à une longue tradition de dirigeants formatés. Le choix du conseil s’était porté sur un banquier professionnel, Slawomir Krupa, ayant fait toute sa carrière à la SG. Cette décision « stupéfiante » trahit l’inquiétude du conseil face aux défis à affronter : l’heure n’est plus aux amateurs issus de cabinets ministériels mais à celle de professionnels de la banque.

La présentation du Plan Stratégique le 18 septembre prochain depuis Londres sera dans ce contexte le moment de vérité pour le nouveau directeur général et surtout pour la Société Générale elle-même.

En avant-première des annonces du 18 septembre, la nouvelle direction a publié un communiqué énonçant deux objectifs stratégiques :

  • Allocation et utilisation performante du capital, allant de pair avec une amélioration structurelle des performances opérationnelles ;
  • Qualité d’exécution des projets stratégiques en cours.

Sur le premier point tout est à faire. La décote du cours de l’action par rapport à l’actif net réévalué est la pire du marché. De la fin ignominieuse d’une première direction générale au long assoupissement d’une seconde, le sort de l’actionnaire de la SG a été un éprouvant calvaire. Que de temps perdu pour quitter la Russie ainsi que pour unifier le réseau français ! La sortie récente d’implantations africaines sans avenir ou l’option d’une vente de SG Securities Services sont des signes encourageants que le marché a salué par un léger frémissement du cours. L’intérêt de l’actionnaire doit enfin être le premier objectif d’une entreprise qui a trop longtemps été gérée comme une administration. L’évolution récente et impressionnante du cours d’UniCredit est le résultat d’une prise en compte avant toute autre considération de l’intérêt du propriétaire de la banque dont la direction générale n’est qu’un employé : l’Actionnaire !

Sur le second point, lesdits « projets stratégiques en cours » tiennent une importance stratégique moindre :

  • L’unification du réseau français : l’acquisition du Crédit du Nord et de ses filiales date de mars 1997 et parler encore de « projet » 26 ans plus tard pour son intégration avec le réseau français de la SG est pour le moins surprenant ;
  • L’intégration de la clientèle d’ING France récemment acquise est de la responsabilité des équipes expérimentées de Boursorama ;
  • L’intégration du réseau LeasePlan est conduite par les professionnels compétents d’ALD.

Que peut annoncer Slawomir Krupa qui fasse encore croire à la possibilité d’un avenir indépendant pour la Société Générale ? Une chose est sûre : si le résultat de cette présentation n’est pas une amélioration rapide et significative du cours de l’action, la messe sera dite… C’est aujourd’hui malheureusement l’issue la plus probable.

Quelles peuvent être les réactions des autres acteurs du marché ?

  • BNPP parie sur une unification du marché bancaire européen à travers ses investissements dans la banque de réseau en Italie et en Belgique. Elle ne peut pas se voir marginalisée sur son propre marché domestique. Les conditions d’une OPA (amicale cette fois !) sur la SG semblent être réunies. Sa sortie récente des États-Unis lui a permis de constituer un trésor de guerre d’un montant peu éloigné de la très faible valorisation boursière de la SG. Son échec relatif dans la banque en ligne pourrait être comblé avec Boursorama et l’ensemble ALD/LeasePlan est un actif correspondant à sa stratégie pour le financement de la mobilité.
  • Les banques mutualistes : l’acquisition d’une banque cotée par une banque mutualiste ne pose aucun problème statutaire. Ce fut le cas lors de l’acquisition du CIC par le Crédit Mutuel aux dépens de la Société Générale, et celle du Crédit Lyonnais par le Crédit Agricole aux dépens de BNPP. Par contre l’inverse est impossible ce qui est une autre illustration des avantages concurrentiels extraordinaires dont jouissent les mutualistes sur les banques cotées. Plusieurs groupes mutualistes sont aux aguets et ont les ressources suffisantes pour une telle opération.
  • Des banques européennes peuvent concevoir une opération de rapprochement dans la perspective de l’unification du marché bancaire européen… pour autant qu’elle se produise un jour.

En conclusion, le 18 septembre a de bonnes chances d’être la dernière présentation d’un Plan Stratégique d’une Société Générale indépendante. Les prétendants intéressés par tout ou partie de la SG devront bientôt se découvrir et la restructuration du secteur bancaire français sera enfin lancée.