Des femmes universitaires à l’époque pré-moderne ? Oui, dans les pays catholiques
En 1861, Julie-Victoire Daubié, qui avait obtenu son bac, est acceptée à la Faculté des lettres de Lyon. Celle de Paris lui avait fermé ses portes. Ce n’est qu’à partir de 1880 que s’ouvre, et au compte-gouttes, l’accès des femmes aux universités, année qui est celle où est votée la loi Camille Sée instituant un enseignement secondaire féminin public. Voir ici.
S’il n’était pas facile aux femmes de s’asseoir sur un banc d’amphi, combien plus dur il était de trôner sur l’estrade, c’est-à-dire d’être prof d’université.
Dans un travail historique impressionnant, deux chercheurs de l’Université catholique de Louvain, ont voulu compter le nombre de femmes qui avaient été professeurs d’université ou membres d’une académie scientifique quelques siècles auparavant, entre l’an 1000 et l’an 1800. Combien, au fait ?
Pour avoir la réponse, ils ont creusé à la main de multiples sources, ce qui leur a pris plusieurs années, pour collationner les 56.000 universitaires de leur base de données. Dont… 108 étaient des femmes.
Leur surprise, que montre le graphique ci-dessous, c’est l’origine géographique de ces femmes : toutes dans des pays catholiques, quasiment aucune dans des pays protestants.
Carte : Lieu des naissance des femmes universitaires sur la période 1000-1800.
Les pays de tradition catholique semblent, contrairement à certaines idées reçues, plus perméables à l’idée d’une promotion des femmes dans la sphère intellectuelle, même si les auteurs reconnaissent que 108 sur 56.000 est une donnée statistique fragile.
Ils donnent deux pistes d’explication : d’abord, dans une Église catholique très centralisée, avec des évêques omnipotents, il se pouvait, sur décision propre, qu’un prélat, reconnaissant l’exceptionnelle qualité intellectuelle d’une femme, fasse de son propre chef un passe-droit. Moins facile dans le monde protestant moins structuré où la norme sociale jouait un plus grand rôle. La seconde piste, c’est le culte mariale en pays catholique, que les protestants considéraient comme de l’idolâtrie. Au fond, Marie pouvait bien être un rôle inspirant, sachant les dons hors du commun qu’on lui reconnaissait.
Peut-être sous l’influence de Max Weber et de son célèbre livre sur l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, on s’est peut-être trop habitués à l’idée d’un retard des pays catholiques dans les domaines qu’on appelle aujourd’hui sociétaux. Par exemple, on montre aujourd’hui que le mariage en terre catholique était plus favorable à l’insertion économique des femmes. Ici, les auteurs revendiquent remettre en cause l’idée que le protestantisme était nécessairement plus libéral que le catholicisme en ce qui concerne la participation des femmes à la sphère intellectuelle.
Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 22 juin 2022.