L’investissement à impact consiste à prendre en compte l’impact sociétal ou environnemental dans les choix d’investissement. L’objectif premier reste la performance financière, mais l’investisseur qui recherche l’impact est prêt, marginalement, à renoncer à un peu de performance (compte tenu du risque) si son investissement produit un impact qu’il juge positif. Les modèles économiques qui prennent cet effet en compte incluent une dimension altruiste dans la fonction d’utilité des investisseurs : ces derniers retirent de la satisfaction de l’impact positif de leur choix d’investissement.

La question traitée par l’article que nous présentons ce mois[1] est la suivante : les investisseurs sont-ils vraiment prêts à payer pour ça ? Peut-on mesurer financièrement l’intérêt qu’il porte à l’impact de leurs investissements ? Les auteurs ont choisi une approche peu utilisée en finance car difficile à mettre en oeuvre : une expérience construite spécialement pour la mesure. Ils ont pour cela contacté des investisseurs à partir d’une base de données danoise (autre originalité de l’article : pour une fois les données ne sont pas américaines !). Pour éviter que l’aspect ludique et l’absence d’enjeu ne déforment les comportements, les investissements effectués sont réels et ont un véritable impact (en pratique, un investisseur sur 10 est choisi ex post et ses investissements sont effectués).

Pour l’expérience, les participants (des professionnels) effectuent des investissements de 1000 €. Ils ont chaque fois le choix entre un investissement sans impact et un investissement à impact, les deux ayant (en moyenne) une performance espérée identique. Tout repose sur les frais de transaction. Au départ, les frais de transaction sont de 10 € pour chaque opération. Ensuite, chaque fois qu’un investissement est choisi, les frais de transaction pour cet investissement augmentent. L’expérience se termine par une situation d’« équilibre » dans laquelle le participant est indifférent entre les deux investissements.

Typiquement, si l’investisseur est soucieux de l’impact, à l’équilibre les frais de transaction sont plus élevés pour l’investissement à impact. L’écart en ces frais est une mesure de la volonté de payer pour l’impact. Les auteurs ont choisi pour impact la décarbonation. Ce choix nous semble judicieux pour deux raisons. D’abord, il s’agit d’un critère facilement mesurable (le taux d’émission de CO2). Ensuite, la nécessité de décarboner l’économie fait largement consensus, lorsque d’autres sujets sociétaux ou environnementaux peuvent donner lieu à débat.

Notons que seuls les investisseurs d’accord avec l’affirmation « le changement climatique est un problème » sont retenus pour l’étude (soyons rassurés : seuls 6 investisseurs sur 219 sont ainsi exclus). À l’équilibre, les investisseurs sont en moyenne prêts à payer 45 euros supplémentaires pour un investissement à impact (pour 1000 euros d’investissement). Cette mesure est toutefois difficilement interprétable, et le résultat central de l’étude n’est pas celui-là. Les participants ont été divisés aléatoirement en deux groupes. Pour l’un d’entre eux, les investissements à impact proposés engendraient une faible décarbonation. Pour l’autre, la décarbonation était forte, dix fois plus élevée. Pour s’assurer du fait que les participants avaient conscience des mesures, l’impact était aussi expliqué en termes réels équivalents (par exemple en kilomètres de voyages aériens économisés ou en nombre d’arbres plantés).

Le résultat central est le suivant : la volonté de payer pour la décarbonation est de 42,49 euros pour le groupe « faible » et de 48,78 euros pour le groupe « fort ». La différence entre les deux est statistiquement non significative. Autrement dit, si les investisseurs sont effectivement prêts à payer pour la décarbonation, ils semblent (presque) indifférents à l’ampleur de la décarbonation. Puisque l’écart d’impact entre les deux groupes était de 1 à 10, cela signifie que les investisseurs du groupe « faible » ont payé neuf fois plus cher que ceux du groupe « fort » chaque tonne de CO2 économisée.

La conclusion des auteurs est assez pessimiste sur l’investissement à impact. Les investisseurs ne se comportent pas comme le voudraient les modèles usuels, selon lesquels ils prennent en compte l’impact de leurs investissements en proportion de cet impact, dans une démarche altruiste. Plus compatible avec les résultats est l’idée selon laquelle ils ressentent une satisfaction personnelle de choisir l’investissement à impact. Ils sont prêts à payer pour cela, mais sans tenir compte de l’impact lui-même. Les auteurs soulignent que cet effet psychologique est un encouragement à une forme de greenwashing soft : peu importe l’impact réel, il suffit d’apparaître comme plus vertueux que les autres pour attirer ces investisseurs. Ce résultat peut être rapproché de celui présenté dans la Lettre Vernimmen.net n° 211[2] (De l’ESG dans l’ISR ?) : au niveau des fonds d’investissement, ceux qui se réclament le plus de l’ISR ne sont pas toujours les plus vertueux.

 

[1] F. Heeb, J. F. Kölbel, F. Paetzold et S. Zeisberger, “Do investors care about impact?”, Review of Financial Studies, vol. 36(5), 2023, p. 1737 à 1787.

[2] Que vous pouvez consulter ici.

 

Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°214 (janvier 2024). Il est repris par Vox-Fi avec une autorisation.