Dans une publication de l’Institut Messine, think-tank sous l’égide de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes, François Meunier, membre de notre Comité, a rédigé une proposition concrète de mesure des émissions des gaz à effet de serre, à la main des directions financières et ESG : la Comptabilité carbone généralisée. La note est disponible ici sur le site de l’Institut Messine. De quoi s’agit-il en peu de mots ?

Le Comité de rédaction Vox-Fi

 

Un point est désormais acquis en matière de lutte climatique : on ne peut se passer d’un système précis et fiable de mesure des émissions de gaz à effet de serre. Cela vaut pour la politique publique (régulation, quotas, subvention ou taxe), cela vaut aussi pour toute promotion d’une culture de sobriété où les acteurs de l’économie ont sous les yeux le décompte du carbone émis et modifient leurs comportements en conséquence.

C’est l’enjeu d’une bonne comptabilité des émissions de carbone.

Une avancée formidable a été faite dans ce sens depuis quelques années : de plus en plus d’entreprises par le monde, dans le cadre de leur démarche ESG, ont pris l’initiative de faire et de rendre public le décompte carbone que leur activité implique. C’est ce qu’on appelle le bilan carbone ou encore l’empreinte carbone. Déjà la législation française le recommande et, très prochainement, l’imposera pour les grandes entreprises à compter de 2025, comme suite à la directive européenne CRDS. Pour l’entreprise, l’exercice consiste d’abord à compter les émissions directes (énergie, chauffage…) que sa production occasionne, ce qu’on appelle le scope 1. Mais, plus difficile, elle doit compter aussi ses émissions indirectes, celles contenus dans les biens et services intermédiaires et d’équipement qu’elle achète et qu’elle « consommera » dans sa production (scopes 2 et 3). Car eux aussi ont causé des émissions et réduire son empreinte carbone demande de jouer à la fois sur les émissions directes et indirectes, par des choix appropriées de techniques bas carbone et de politiques d’achat, de vente et d’innovation.

D’où la Comptabilité carbone généralisée (CCG). Elle part du constat qu’il est très difficile aujourd’hui de connaître les émissions indirectes des entreprises. Il faut remonter dans la chaine des fournisseurs, ceci par estimations d’experts, peu fiables en l’état et coûteuses à terme si chaque entreprise doit indépendamment faire son estimation. La CCG pose la question : pourquoi ne serait-ce pas l’entreprise elle-même qui renseignerait ses clients sur l’empreinte carbone des produits qu’elle leur vend ?

La proposition est donc : toute entreprise qui calcule son empreinte carbone (par les méthodes traditionnelles en un premier temps) fait juste un pas de plus. Elle ventile ce total sur chacun de ses produits et en passe l’information à ses clients via ses factures.

On voit qu’on déclenche ainsi une dynamique vertueuse, car un client est lui aussi un fournisseur. Généralisée, elle signifie la mise sur pied d’un système décentralisé de collecte d’information où chaque entreprise reçoit de ses fournisseurs et fournit à ses clients les données pour déterminer les empreintes. Au fil du temps, les estimations s’affinent et la collecte des données devient fiable, exhaustive et peu coûteuse. Le bon exemple d’un tel système est la TVA où toutes les données sur les achats et les ventes sont collectées et transmises par les entreprises elles-mêmes.

On a l’embryon d’une telle démarche quand certaines banques indiquent à leurs clients le bilan carbone des achats mensuels effectués au moyen de leur carte de paiement ou quand les compagnies aériennes le font pour les billets d’avion. C’est cette démarche qu’il faut généraliser pour le commerce interentreprises. La puissance des outils numériques à disposition des entreprises et, dès 2024, la facture électronique, le permettent de façon croissante.

Comment l’entreprise peut-elle s’organiser ? Aujourd’hui, les directions financières, pourtant responsables du « chiffre » dans l’entreprise, sont encore peu impliquées dans la comptabilité environnementale. Or, si le produit devient effectivement le niveau pertinent pour les décomptes carbone, il est possible de calquer très largement la comptabilité carbone sur la comptabilité financière des achats et des ventes. Pour cela, on se repose sur la pièce juridique et comptable de base de toute comptabilité, à savoir la facture. Ainsi, la mesure du carbone émis s’inscrit naturellement dans les dispositifs et outils déjà en place dans l’entreprise, comme cela a été le cas lors de l’introduction de la TVA sur les factures. Elle s’appuie alors sur le réseau existant de comptables, de contrôleurs de gestion et d’auditeurs internes et externes, capable de produire les chiffres et d’en assurer la probité.

La note aborde la mise en place du système et sa faisabilité. La démarche copiera celle suivie pour les bilans carbone : initiatives de précurseurs en un premier temps, puis progressive obligation légale dans un second, lorsque les outils seront en place. Elle traite aussi du rapport entre ce mode de collecte et les normes qui sont aujourd’hui mises en place pour la comptabilité carbone, en insistant sur les questions méthodologiques posées. Elle examine comme l’entreprise peut pleinement utiliser la donnée carbone au niveau des produits dans sa politique environnementale.

 

Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 3 juillet 2023.