Qui n’entendait les attaques contre la politique de quantitative easing (QE ou assouplissement quantitatif en français) des banques centrales suite à la Grande récession de 2009 ? On allait noyer, disait-on, l’économie sous des tombereaux de monnaie et faire flamber l’inflation. La violente poussée inflationniste démarrée en 2021 en était bien la preuve, n’est-ce pas ? L’attente avait été longue, mais on triomphait.

On oubliait dans cette polémique les facteurs sans doute bien plus prégnants : la sortie délicate de la période COVID, la flambée des matières premières, notamment agricoles, la guerre en Ukraine, etc. Surtout, on oubliait une caractéristique première de ce QE, tant en Europe qu’aux États-Unis : oui, la banque centrale rachetait à tour de bras des obligations pour faire baisser les taux longs et relancer l’économie, mais l’argent restait l’argent dans le système bancaire sans irriguer l’économie. Le mécanisme était le suivant : achat de titres par la banque centrale auprès des banques et du secteur privé, remise des liquidités auprès des banques qui les déposaient en réserves auprès de la banque centrale. Le mouvement était circulaire.

Pourquoi cet argent remis aux banques n’étaient-ils pas davantage réinjecté dans l’économie sous forme de crédit ? Dans un papier du NBER (The Reserve Supply Channel of Unconventional Monetary Policy) de trois économistes, DiamondJiang et Ma, le mystère est un peu éclairé.

Le programme de QE de la Réserve fédérale après 2008 a atteint plusieurs trillions de dollars. La banque centrale a en pratique acheté les titres avec ses réserves, c’est-à-dire inscrivant une dette à son passif en contrepartie des titres achetés, les banques se retrouvant avec ce montant à leurs actifs, en général en contrepartie de dépôts et titres de dettes détenus par le secteur privé. (Les réserves peuvent être vues comme une monnaie purement interne au système bancaire, servant aux échanges entre banques. En particulier, elles ne figurent pas dans la masse monétaire, dont on se souvient qu’on l’obtient en calculant le passif consolidé des banques commerciales et de la banque centrale.)

Cela a eu pour effet d’augmenter considérablement les avoirs des banques en actifs liquides ainsi que leurs avoirs totaux. Au total, les réserves des banques centrales sont passées de moins de 50 Md$ au début de 2008 à 2,8 Tr$ en 2015.

Pourquoi cet argent ne ressort-il pas sous la forme de crédits plus abondants à l’économie. Il y a deux effets de sens contraire à l’œuvre. D’un côté, on injecte des actifs liquides dans les banques, ce qui réduit le risque côté actif et peut les pousser à prêter davantage. Mais en sens inverse, on accroît la taille du bilan de la banque, ce qui dégrade le ratio de leverage (attention, dans le monde bancaire, le ratio de leverage est le rapport entre les fonds propres de la banque et le total de ses actifs, ce qu’on pourrait traduire comme le ratio de solvabilité). Bref, il manque des fonds propres pour préserver la solvabilité de la banque, et les oblige soit à réduire leurs prêts, soit à lever des fonds propres sur le marché. Et, pour comble, ceci à un moment où le régulateur demandait aux banques d’accroître fortement le même ratio de solvabilité qui était passé à des niveaux dangereusement bas dans les années qui précèdent la Grande crise financière de 2007-08.

Pour faire court, l’injection de réserves a coïncidé avec une baisse de la part des prêts de 83% dans le bilan des banques. Le graphique qui suit montre à la fois (en bleu) l’évolution du montant des réserves injectées dans le système financier par la politique de QE et le montant estimé des prêts qui auraient pu advenir sans cette politique. La politique du QE n’a ni été très expansive, ni a conduit en elle-même à une montée de l’inflation.