Les générations anciennes sont plus chanceuses que les nouvelles
Un formidable dossier vient de paraître, fait par le COR, Conseil d’orientation des retraites. Trois économistes, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux et Jacques Pelletan ont planché sur le niveau de consommation de la population selon l’âge et la génération. Le dossier graphique se trouve ici. Ces travaux, originaux, viennent des efforts de l’INSEE pour établir des comptes nationaux « distribués », où les agrégats classiques comme le revenu national ou la consommation sont répartis par catégorie sociale ou niveau de revenu ou même — en rajoutant d’autres données — par âge.
Le premier graphique concerne les transferts publics par âge et par individu pour l’année 2019. Par transfert public, entendons les revenus en nature ou monétaires distribués par l’État. Un revenu monétaire sera par exemple une prestation logement ou retraite ; un revenu en nature sera par exemple le service d’éducation ou de santé fourni gratuitement — ou presque — par l’État (si on s’abstrait des cotisations ou impôts qui les ont financés).
Trois gros postes émergent, sans surprise : les pensions pour les plus de 60 ans environ, les prestations de santé qui augmentent progressivement au fil de la vie ; les services éducatifs pour les plus jeunes. Concernant les postes moins visibles sur le graphique, on retrouve : les prestations de chômage, maternité, de logement, etc. Le poste « Autres transferts » concerne les biens publics non individualisables, comme le service de défense nationale ou le service routier.
Le deuxième graphique fait figurer la consommation (privée et publique au sens précédent) selon les générations ou cohortes. La lecture de ce graphique est assez ardue mais est riche d’enseignement. Par exemple, la courbe bleue marquée C1950 donne cette consommation entre l’âge de 30 ans qui est la date « 1980 » — date à laquelle les enquêtes ont été mises en place — et aujourd’hui où leur âge est autour de 70 ans. En clair, 40 ans de consommation représente moins pour les générations d’aujourd’hui de moins de 40 ans, ou les générations nées avant 1920 puisque le graphique — et la vie humaine — s’arrête autour de 90/100 ans.
Une double rupture apparaît :
- Entre les générations nées avant l’année 1950 et les générations plus jeunes. Les premières atteignent un niveau de consommation de l’ordre de 30 000 € (en euros de 2019) quand elles atteignent l’âge de 50 ans. La génération 1970 voit son niveau de consommation stagner et aujourd’hui — même à 50 ans — le niveau de consommation reste inférieur à 25 000 €.
- En revanche, les toutes jeunes générations ont une progression de leur consommation plus rapide dans leurs années de jeunesse. En clair, on dépense plus sur l’enfance, notamment au travers de l’éducation.
Le dernier graphique montre cette fois-ci la consommation selon l’âge à différentes époques historiques récentes : tous les dix ans à compter de 1979, soit cinq photographies. À gauche, graphique 3A, on observe la consommation publique, à droite, graphique 3B, on distingue la consommation privée. L’amélioration du niveau de vie s’observe sur les différentes courbes, tant à droite qu’à gauche : elles ne font que monter.
S’agissant de la consommation de biens publics, on note à nouveau les deux ruptures que sont la période de jeunesse avec les dépenses éducatives et la période de retraite, qui arrive toujours autour de 60 ans. Il est significatif que les niveaux de consommation à l’âge de la retraite — essentiellement de services de santé — n’aient pas bougé entre la photo de l’année 2009 et celle de 2019. Il faut y voir les diverses mesures prises pour freiner le niveau des pensions, notamment par le moyen le plus silencieux qui soit, à savoir l’indexation des retraites sur les prix et non sur les salaires, selon le régime qui prévalait autrefois.
La consommation privée a bien sûr un profil très différent selon l’âge. Lors des photos prises en 1979, 1989 et 1999, les gens consommaient le même montant qu’ils aient 30 ans ou 60 ans, et leur consommation déclinait par la suite. À partir de l’année 2009, le changement est important : on consomme sensiblement davantage de biens privés à l’âge de 60 ans que dans les années antérieures de la vie. Et même, dans la mesure faite en 2019, c’est à l’âge de 70 ans qu’on consomme le plus, sans d’ailleurs que cette consommation baisse fortement ensuite. Heureux séniors !
Si l’on raisonne donc en capacité à consommer, il y a eu depuis un demi-siècle un transfert important de ressources des jeunes vers les vieux. On s’en doutait, on le mesure clairement à présent. Ce constat oriente déjà les politiques publiques.