On soulignait il y a quelque temps dans Vox-Fi le paradoxe de la loi de Moore, cette observation empirique que le nombre de transistors sculptés sur une puce électronique doublait environ tous les deux ans, et ceci depuis l’origine. Cette croissance (soit 35 % par an) poursuit sa route immanquablement depuis un demi-siècle. Mais cette performance spectaculaire, qu’on retrouve dans d’autres domaines de l’électronique, a des effets de plus en plus faibles sur la productivité du secteur et plus largement de l’économie.

Deux raisons à cela. Du côté de l’offre, et comme le montre un papier de recherche d’où est tiré le graphique qui suit, elle n’a été obtenue que par l’injection d’un nombre toujours croissant de chercheurs, dont le seul rôle pourrait-on dire est que la loi continue à être valide. La productivité de la recherche y est de moins en moins bonne. Elle décline de 7 % par an. Les fruits de l’arbre de la connaissance sont toujours là, mais perchés de plus en plus haut.

 

La deuxième raison est de bon sens. Certes les puces Nvidia très à la mode et qui propulsent stratosphériquement le cours de l’action sont indispensables pour les simulations en AI, mais l’immense partie des gains de performance apportés par les puces et les ordinateurs s’est vue il y a 20 ou 30 ans dans tous les bureaux du monde pour des choses plus banales comme faire tourner Outlook, Excel ou Word, ce que fait l’auteur de ces lignes en ce moment. Là a été la véritable révolution. Elle a immensément démultiplié la productivité de toutes les tâches administratives.

McKinsey, dans une publication récente, construit un indicateur de performance des ordinateurs (graphique). On y voit qu’elle ne fait que chuter et la raison est visuellement simple : les gains se manifestaient auparavant par une baisse continuelle du prix (zone bleutée du graphique), chose que l’industrie n’arrive plus à arracher. Or ce secteur, malgré son poids faible dans la valeur ajoutée et l’emploi au niveau macro a de forts effets induits sur le reste de l’économie. McKinsey estime que la baisse de productivité enregistrée dans ce secteur de 8,9 % à 2,4 % entre la période 1997-2008 et la période 2012 et 2019 explique un cinquième de la baisse de la productivité au niveau macro en Europe de l’Ouest, qui est passée d’un maigre 1,1% l’an à 0,6 % entre mes mêmes périodes.

 

Quittant la loi de Moore, il y a un autre aspect, aux conséquences ambivalentes, dans la baisse de la productivité des pays développés. Il s’agit de l’arrêt de la vague de délocalisation et de restructuration qui a bousculé tout le secteur manufacturier à forte intensité de main-d’œuvre dans les années 1990 et 2000. Cela s’est fait au profit de zones moins développées, Mexique, Europe de l’Est, mais surtout à l’Asie, dont essentiellement la Chine. L’économie se recentrait sur les activités à plus haute valeur ajoutée, la hausse de la productivité se payant toutefois d’un choc social majeur pour une partie de la population active.

Les pessimistes, devant le phénomène, disent : parce qu’il n’y a plus rien à délocaliser. Les optimistes : on entame la remontée. De fait, une fois la vague de délocalisation et de restructuration terminée, les heures travaillées dans l’industrie manufacturière ont repris leur croissance. Un schéma similaire est apparu en Europe et au Japon. En Allemagne, une baisse de 0,6 % s’est transformée en une croissance de 0,5 % ; au Royaume-Uni, on est passé d’une baisse de 3,7 % en une hausse de 0,3 %. La France fait exception : la baisse n’a fait que ralentir, passant de -1,5 % à 0,4 %. Plus d’emplois manufacturiers, mais bien sûr moins de productivité.