Robert S. Kaplan est mondialement connu pour ses contributions en comptabilité et contrôle de gestion. Il est notamment le promoteur de la méthode ABC (Activity-Based Costing), qui est l’une des méthodes couramment utilisées en comptabilité analytique. Cette méthode vise à allouer précisément le coût des biens et services achetés par l’entreprise à chacun des produits qu’elle vend. On lui doit aussi le balanced scorecard, un outil populaire également en contrôle de gestion.

Le professeur Karthik Ramanna a fait paraître en 2021 dans la Harvard Business Review, une méthode de comptabilisation des empreintes carbone des entreprises : Accounting for Climate Change (que le lecteur trouvera sur le site de la revue). L’initiative s’est poursuivie avec la création du e-Liability Institute, chargé de promouvoir la méthode. Le principe est le même que celui de la comptabilité carbone généralisée ou la CCG qui a fait l’objet d’une présentation dans Vox-Fi et sur une note publiée par l’Institut Messine, en juillet 2023 sous la signature du présent auteur. Ce que Kaplan appelle e-Liability (dette sur l’environnement) n’est autre que ce que la CCG appelle l’empreinte carbone du produit. En France, l’initiative Carbones sur Factures promeut la même idée.

Il faut se féliciter que des deux côtés de l’Atlantique, la même idée puisse se faire, tout cela à partir d’une conviction : les entreprises n’aideront réellement au combat climatique que si elles disposent de bonnes mesures du carbone qu’elles émettent.

Rappelons l’idée en quelques mots sur l’exemple d’une entreprise de plasturgie qui utilise des granulés de plastique pour ses travaux d’injection, d’extrusion ou de moulage :

  • Aujourd’hui, elle est capable de calculer les quantités physiques (en kilos) des différents granulés qui rentrent dans chacun des produits qu’elle vend. Connaissant le coût en euros de ces divers granulés, elle détermine, par sa comptabilité analytique, le coût matière de chacun de ses produits. C’est le travail du contrôle de gestion, fondamental pour déterminer ses tarifs et l’origine de sa rentabilité.
  • Demain, si elle connait de plus le poids en carbone des différents granulés qu’elle utilise, et qu’elle puisse estimer le carbone qu’elle émet directement (par exemple, le gaz de ses fours), elle sait exactement le contenu carbone de chacun de ses produits. C’est toujours de la simple comptabilité analytique, et le calcul des coûts et le calcul du contenu carbone peuvent être faits simultanément (on omet les autres intrants pour lesquels le principe est identique).

Par conséquent, cette entreprise pourra communiquer à ses clients — parallèlement au prix en euro de ses produits — leur contenu direct et indirect en carbone, c’est-à-dire l’empreinte carbone du produit.

  • Aujourd’hui, de par la directive européenne CSRD, les grandes entreprises et de plus en plus d’entreprises moyennes doivent faire le calcul de leur « bilan carbone », c’est-à-dire du total des carbones contenus dans les intrants qu’elle achète, ajouté aux carbones émis en propre. Dans beaucoup d’entreprises, particulièrement aux États-Unis où il n’y a pas une telle contrainte légale, le calcul est fait spontanément dans le cadre d’une bonne pratique ESG. La démarche e-Liability ou CCG consiste simplement à allouer ce total sur l’ensemble des productions.
  • Une fois généralisée, cet exercice donne simplement de façon fiable et à coût réduit, les empreintes de la plupart des produits de l’économie. On économise le coût des investigations en amont dans la chaîne de valeur, pour savoir ce que le fournisseur de rang 1, mais aussi de rang 2, de rang 3, etc., a livré comme contenu carbone à l’entreprise. On gagne ainsi en fiabilité. Ensuite, on remet ces calculs entre les mains de la direction financière et de toute la logistique de contrôle qui l’entoure, y compris l’audit interne et externe.

L’important est que l’idée gagne les esprits et que la communauté des directeurs financiers et contrôleurs de gestion s’en saisisse pour répondre aux nouvelles obligations de la CSRD en matière de reporting carbone.