Les taux d’intérêt pour les crédits immobiliers aux ménages connaissent une forte hausse. De leur plus bas historique à l’automne 2021, avec des taux en moyenne à 1,1%, les voici à 3,38% en septembre 2023, nous dit la Banque de France. C’est une hausse à la fois plus rapide et plus forte que celle connue entre 2005 et 2008. Et surtout, il n’est pas pareil de subir une hausse de 2 points de taux quand le taux est à 1% que quand il est à 5%, comme ce fut le cas en 2005 (voir encadré). Le choc présent est en tout état de cause très violent.

Outre la dépréciation de l’immobilier en tant qu’actif financier, une hausse des taux renchérit le crédit. Si le mouvement était simultané et de même ampleur, l’effet serait neutre sur la capacité des ménages à acheter des logements : certes, le crédit serait plus cher, mais le bien le serait moins. D’autant que les ménages déjà endettés voient le poids actuariel de leur crédit existant – qui est à taux fixe – se réduire, ce qui leur donne en théorie du pouvoir d’achat.

Hélas, il n’en est rien. C’est ce que montre un intéressant graphique publié régulièrement par la Banque de France.

 

 

Pouvoir d’achat immobilier et variation des facteurs par rapport à décembre 2007

 

Il fait figurer ce qui est appelé le pouvoir d’achat immobilier, ceci en évolution par rapport à décembre 2007 (courbe noire, graphique de gauche) ou décembre 2021 (graphique de droite). Il s’agit d’un indicateur qui mesure le nombre de m² que peut acquérir un ménage disposant d’un revenu médian et qui emprunte au maximum de sa capacité. Par rapport au haut du marché à l’automne 2021, la chute (mesurée en nombre de m² achetables) est de 10m², sous l’effet massif de la hausse des taux d’intérêt. Comme on le note, l’effet baisse des prix de l’immobilier ne joue vraiment qu’à compter de 2023, après une période de hausse spectaculaire.

 

Pourquoi l’impact d’une hausse de taux dépend de son niveau de départ ?

Supposons (à tort, mais cela illustre le point) 1- que le taux de rendement de l’immobilier soit égal au taux d’intérêt de la dette immobilière, et 2- que l’inflation revienne à son niveau de 2% l’an –ce qui semble être en bonne voie –, de sorte que la hausse de taux hypothécaires de deux points soit une hausse réelle, c’est-à-dire corrigée de l’inflation.

Si le service S que rend le logement (son « loyer » en quelque sorte) est constant en termes réels, son prix est de 100xS à 1% mais de 33xS à 3%, soit une division par trois. Il vaut 20xS à 5% et 15xS environ à 7%, soit une baisse de 25%.

Si la hausse de deux points des taux est purement nominale, cela veut dire que les services de logement se revalorisent de 2% par an. Dans ce cas, cette hausse de taux est neutre sur les prix de l’immobilier.

 

On a là toute la dynamique du marché immobilier quand le marché est baissier : les prix s’ajustent avec retard à la hausse des taux. En effet, les ménages qui sont vendeurs sont dissuadés de vendre dans un marché baissier tant qu’ils n’ont pas acceptés d’en rabattre sur leurs espérances de prix. Ce principe de réalité prend toujours du temps. Les acheteurs potentiels attendent aussi que les prix baissent un peu plus. De plus, selon un mécanisme encore peu étudié, les ménages qui sont endettés à un taux très bas hésitent à se porter acheteurs d’un nouveau bien parce qu’alors il leur faudra contracter un nouveau crédit à un taux plus élevé. Le nombre des transactions s’effondre et il faut un temps assez long d’assainissement.

De fait, les transactions immobilières en France se replient, comme l’indique le graphique qui suit, publié par l’Observatoire du logement. La courbe reportée est un glissement sur 12 mois qui prend encore en compte les très fortes transactions jusqu’au début 2023.

 

 

 

 

Les choses vont plus rapidement dans une période de baisse des taux, car les ménages peuvent renégocier le taux de leurs crédits à la baisse, ce qui leur donne du pouvoir d’achat. On le voit de façon flagrante sur le graphique ci-dessus pour la période entre 2008 et 2021 (graphique de gauche). La baisse des taux enclenche assez rapidement une hausse des achats et des prix, dans un marché qui retrouve sa liquidité.

 

Taux fixe ou taux variable ?

Ce cycle est de nature différente dans les pays, comme le Royaume-Uni, où la très grande majorité des prêts immobiliers se fait à taux variable. Si les taux remontent, les ménages acquéreurs d’un logement perdent comme précédemment du pouvoir d’achat immobilier, mais les ménages déjà propriétaires et endettés perdent du pouvoir d’achat tout court. Par conséquent, le choc conjoncturel concerne l’ensemble de la demande, à la fois immobilière et de consommation. Ainsi, la politique monétaire de la banque centrale est potentiellement plus efficace parce que c’est l’ensemble de la demande des ménages qui répond à la hausse des taux monétaires. Le refroidissement de l’économie est plus rapide. Dit plus positivement, à puissance de feu identique face à l’inflation, la banque centrale peut se contenter d’une hausse moindre des taux.

 

Mais les ménages endettés au Royaume-Uni connaissent souvent la détresse financière en cas de hausse des taux, de sorte qu’ils sont obligés de revendre leur bien, en acceptant une décote de prix. L’ajustement des prix est donc plus rapide. La crise immobilière est plus sévère mais moins durable car la liquidité du marché se dégrade moins en raison de la baisse des prix et de l’afflux d’un volume de ventes.

 

Le cas des États-Unis. Comme la France ?

La très grosse majorité des prêts hypothécaires ou mortgage loans aux États-Unis sont à taux fixe à 30 ans. Leur histoire commence à l’époque de la Grande Dépression. Avant cela, les prêts hypothécaires avaient en général une durée de 10 ans ou moins et, contrairement aux prêts hypothécaires actuels, étaient in fine et non à amortissement constant. Le capital se remboursait en une fois à maturité du prêt. Cela obligeait l’emprunteur à recontracter un prêt à terme pour rembourser l’ancien, donc aux conditions courantes du marché. Le gouvernement a mis en place un intelligent système de refinancement des banques prêteuses via ce qui allait devenir Fannie Mae et Freddie Mac, deux entités quasi-publiques qui elles-mêmes allaient sur le marché obligataire pour se refinancer.

 

Comme en France mais pas comme en Allemagne, ces prêts sont renégociables à la baisse. Mais la différence avec la France, c’est la durée standard des prêts : trois décennies, même si la durée moyenne des prêts en France a eu tendance à s’élever. L’effet de richesse pour le ménage endetté à trente ans d’une hausse des taux est considérable. Supposons ici qu’un prêt de 400.000$ à 30 ans passe du jour au lendemain de 4 à 6% (les taux des prêts à taux fixes sont plus élevés aux États-Unis). Il ne vaut plus que 318.000$, soit une baisse de 21%.

 

Bien sûr, le ménage ne s’en rend pas compte, mais sa charge d’amortissement ne varie pas, à la différence du ménage qui contracte le prêt le lendemain. Celui-ci paiera un montant mensuel de 2400$ environ au lieu de 1900$, soit 26% de plus.

 

Deux conclusions : les transferts de richesse qu’occasionnent les mouvements de taux d’intérêt sont très importants ; l’effet de retrait du marché des ménages déjà endettés à taux bas et ne voulant pas alourdir leur charge d’emprunt enkyste les échanges et la liquidité. On a aux États-Unis l’exemple extrême que peuvent produire des taux fixes lorsque la maturité des prêts est très longue.

 

Pour compléter :

 

Quelles mesures peut-on envisager pour atténuer ce cycle immobilier ?

Pourrait-on avoir la protection des ménages qui existe dans les marchés à taux fixe et la flexibilité et la réduction de l’ampleur du cycle immobilier qu’on a dans les marchés à taux variables. Trois mesures sont envisageables.

 

Une première mesure consiste à rendre « portables » les crédits immobiliers. Le ménage endetté voulant changer de logement pourrait conserver son prêt courant aux mêmes conditions et donc aller au terme de son crédit. En bref, il conserve son pouvoir d’achat immobilier, ce qui lui permet d’acheter un autre bien, y compris plus cher ou plus vaste. La liquidité du marché est préservée de par les biens à vendre et les biens à acheter qui arrivent sur le marché. Le cycle immobilier est atténué.

 

Une deuxième mesure serait d’introduire en France – avec mesure – la pratique du « contenu fonds propres » d’un ménage possédant un bien immobilier, qu’on voit dans les pays anglo-saxons. Le crédit serait rechargeable au fur et à mesure de son remboursement. Pour éviter les dérives qu’un tel système peut créer, l’option ne serait ouverte que si le crédit est déjà amorti dans une certaine proportion et non si simplement le prix du bien a crû. Ce crédit serait affectable aux travaux d’agrandissement et d’entretien. Ce serait un encouragement, en période de retournement de conjoncture, à un maintien de l’activité du bâtiment.

 

Troisième mesure, il faut éviter à l’exemple des États-Unis de voir progressivement s’étendre la durée des prêts immobiliers. C’est bien le cas en France où la durée des prêts ne cesse de croître (voir graphique ci-dessous) et dépasse désormais les deux ans. On pourrait par exemple limiter à 15 ans la durée où un prêt est à taux fixe. Après cette période, les conditions de marché s’appliqueraient, avec éventuellement un lissage dans le temps.

 

 

 

Le compte de revenu des banques

On voit aujourd’hui les banques françaises pénalisées par rapport à leurs consœurs d’autres pays en raison de l’inertie de leur portefeuille de crédits immobiliers. Elles profitent moins de la hausse des taux créditeurs et donc de la rente que leur assure la non ou faible rémunération des dépôts. Si de plus les crédits immobiliers deviennent portables, leur engagement à taux fixe va s’étendre, contrecarré par la limite à 15 ans de l’engagement du taux fixe.

 

Une seule solution : relever le niveau des taux hypothécaires qui sont les plus bas d’Europe. Ceci d’autant plus que jusqu’à une date récente, les banques acceptaient de gagner très peu d’argent sur leur activité hypothécaire, avec l’argument qu’un prêt immobilier fidélisait (lisez « verrouillait ») le client et permettait de se rattraper en rentabilité sur d’autres produits. Mais le marché a changé avec la venue massive des courtiers en ligne qui rendent les clients beaucoup plus versatiles et qui, au passage, empochent une commission.

 

Les deux graphiques qui suivent montrent le niveau des taux sur quatre pays européens. Ils permettent de constater que les taux les plus bas sont en France, assez fortement hors frais et assurances (graphique de gauche), un peu moins si on inclut les frais d’assurance (de droite), un produit où la concurrence joue encore très imparfaitement.

 

 

 

L’assainissement du marché hypothécaire suppose donc que les banques fassent preuve de plus de flexibilité sur les produits vendus et, en retour, donnent des prix plus exacts en pesant bien les options qu’elles incluent dans leurs crédits.